La nouvelle s'est répandue dans tout Paris comme une traînée de poudre. Ce lundi 3 octobre, il s'est dit que Kanye West organiserait dans la journée même un show YEEZY, à la marge de la Fashion Week. On savait Ye présent dans la capitale, avec ses apparitions remarquées à des défilés jusqu'à une participation en ouverture de celui de Balenciaga, on le savait désireux, aussi, d'organiser une nouvelle présentation. Mais la surprise restait de taille. Elle était même doublée d'une certaine excitation, alors que le lieu était tenu secret et les invités triés sur le volet. Plus de deux ans après son dernier show parisien pour la Season 8, Ye a effectivement signé son retour à la mode avec un grand M. Un come-back pour le moins houleux.

Kanye avait convié une cinquantaine de personnalités prestigieuses au quartier cossu des Ternes, à proximité de l'Arc de Triomphe. Dans le décor dénudé de ce qui paraît être un ancien magasin sur plusieurs niveaux, les Jean Touitou, John Galliano ou Demna Gvasalia ont trouvé des blocs de savon sur leurs sièges et l'attente pré-show, pourtant atténuée par la projection de séquences vidéos, fut si longue qu'Anna Wintour était à deux doigts de quitter le lieu d'après le Figaro. Visiblement conscient de l'embarras, Ye s'en est directement justifié à son apparition, depuis le sol en contrebas des deux étages où étaient juchés ses convives. "On est en retard, mais la mode exige du temps et nous en avons besoin pour vous présenter les meilleures idées. Ce que vous vivrez ici, vous ne le vivrez pas sur Google. Je suis Ye et tout le monde ici sait que je suis le leader", a-t-il clamé avec sa verve habituelle, tel un prédicateur. Une introduction pleine d'egotrip pour lancer un discours alambiqué de six minutes, qu'il achèvera dans un délire de persécution et un "Bernard Arnault est mon nouveau Drake" afin d'illustrer une pseudo-hostilité du monde de la mode à son égard - curieux, au vu de l'assistance ayant répondu à son rendez-vous. À la vérité, Ye n'aura pas présenté le meilleur, et ce qu'on retiendra de l'ensemble de sa prestation restera son t-shirt.

Pour accompagner ses tongs à diamants qui avaient déjà fait le buzz à son arrivée à Paris, Mister West a osé un tee présentant de face un portrait de feu le pape Jean-Paul II, avec la mention en espagnol "Seguiremos tu ejemplo" ("Nous suivrons ton exemple", ndlr), et au verso le slogan "White Lives Matter" ("La vie des blancs compte"). Une référence au "Black Lives Matter" se voulant peut-être ironique - allez savoir - mais assurément scandaleuse, en cela qu'elle tourne en ridicule un mouvement antiraciste dont on sait l'importance. Sa portée symbolique décuplée par la présence de Candace Owens, commentatrice politique conservatrice, le t-shirt a directement déclenché la polémique sur les réseaux sociaux, faisant rejaillir les propos du rappeur sur l'esclavage ou son soutien à Donald Trump. Mais n'était-ce pas justement le but ? L'as de la controverse a frappé et dans le fond, on n'en est guère étonné. Derrière les légitimes réactions outrées, vient donc un arrière-goût de réchauffé aussi gênant qu'ennuyeux.

On n'aura pas non plus été étonné par la proposition vestimentaire de cette YEEZY Season 9, qui a défilé dans les étages sur les épaules de quelques personnalités - Naomi Campbell, Matthew M. Williams ou Michèle Lamy -, pendant qu'une chorale d'enfants succédait à Ye pour assurer la bande-son. Fidèle à son approche futuriste-minimale à veine cyberpunk, le designer nous a fait voir des ponchos surdimensionnés, vestes cropped, leggings, robes moulantes et bodysuits avec masques d'aliens intégrés, le tout décliné en noir ou dans des tons terreux et accompagné niveau footwear de boots imprimées en 3D. Rares sont les pièces portables, toutes nous évoquent un air de déjà vu. La polémique WLM n'est finalement pas de trop pour reléguer au second plan une collection insipide, et une "performance" globale terriblement confuse.

Ye a beau se targuer d'être un leader qui va selon ses propres dires changer une industrie qui en aurait après lui, tout juste aura-t-il réussi à prouver à ses pontes - soigneusement invités - qu'il évolue toujours parmi eux. Sans lui enlever le caractère révolutionnaire qu'il a pu avoir par le passé, il ne fera aucunement bouger les lignes avec cette YZYSZN9. Son come-back high fashion s'apparente davantage à une caricature de lui-même, somme de divagations se terminant dans le brouhaha du bad buzz, depuis entretenu par de nouvelles polémiques lancées dans une impertinente posture guerrière qui là encore, apparaît gênante au vu du contexte que nous vivons. Il n'y a plus qu'à espérer qu'une fois l'agitation dissipée, Ye reviendra sur terre pour tout reconsidérer. S'il est encore capable d'écouter.