Le saviez-vous ? Tous ces designs récents de Supreme n’ont pas été créés par Supreme (et c'est un peu gênant)
Le point commun entre les cross box logo, la capsule The North Face Fall 2021, des Vans Skate Grosso Mid et Skate Era ou encore les Nike Shox Ride 2 et Zoom Air Flight 95 ? Ils sont tous signés Supreme... mais n'ont pas été créés par Supreme. Ces pièces apparel et footwear, et bien plus encore, ont été imaginées par le Bureau Borsche, un studio de design allemand à qui la marque new-yorkaise a confié pendant deux ans "des graphismes saisonniers et services créatifs", pour reprendre les mots de l'intéressé. Si cette collaboration a pris fin dernièrement, son existence même méritait d'être relevée. Parce qu’aucun média ne l’a jamais évoquée, et qu’elle est quand même un peu gênante.

On n'est pas foncièrement surpris par le fait que Supreme a pu faire appel à un tiers pour des designs. C’est une pratique assez commune dans la mode, et comme le révèle d’ailleurs le compte Instagram du studio, des marques high fashion comme Palm Angels, Études ou Junya Watanabe l’ont sollicité pour des graphismes apposés sur quelques produits. Mais ces contrats étaient comme la plupart de nature ponctuelle, là où l’implication chez Supreme a été régulière et étendue au point de concerner des pièces emblématiques comme les bogos et des collabs au long cours avec The North Face, Nike ou Vans.

Ce qui nous gêne donc dans cette histoire, c'est que le box logo a commercialisé si longtemps de si nombreux produits qu'il n'a pas imaginés lui-même. Car au fond, quand on achète une marque, on tient à acheter SES designs - sinon, quel serait le sens ? À plus forte raison dans le cas de Supreme qui, sans en refaire l’historique en détails, doit son succès à des graphismes inspirés jouant des références culturelles avec un esprit subversif singulier. Savoir qu’il a tant délégué la création est donc décevant, d’autant qu'il ne l'a aucunement signalé à son aimable clientèle…

Alors quoi, Supreme n’avait plus de professionnels du design dans sa team ? Eh bien, sans aller jusqu’à cette affirmation, il est possible qu’il manquait de ligne directrice en la matière : l’implication du Bureau Borsche aura duré de 2020 à 2022, soit exactement la période entre la vente du box logo à VF Corporation et l’intronisation de Tremaine Emory en tant que directeur créatif. Le fondateur James Jebbia était prétendument resté à la tête des opérations après la cession, mais nul doute que l’appel au Bureau comblait un déficit. On l’aura d’ailleurs bien noté : durant ce laps de temps de deux ans, nombreux sont ceux, fans comme médias, à avoir pointé le manque d’attrait des propositions de la marque.

La traversée du désert n’est cependant pas imputable au Bureau Borsche ! Ses pièces sont parmi les plus désirables de Supreme sur cette drôle de période, et sont symboliques de l’indéniable talent qu’il met au service de prestigieuses entités depuis son lancement en 2007. Établissements culturels, publications, clubs de football, marques de prêt-à-porter et maisons de luxe sollicitent régulièrement son approche pointue du design, qui s’exprime au travers de direction artistique et créative ou de conception graphique. Ces dernières années, il a travaillé sur des campagnes mondiales de Nike et Apple, réalisé les rebrandings de Balenciaga, Givenchy ou Rimowa et redéfini l’identité visuelle de l’Inter Milan et de Venise - dont les maillots ont suscité un buzz phénoménal. Supreme fut une autre belle ligne de son C.V., et on vous invite vivement à suivre ses travaux. Quant à la marque new-yorkaise, passée la déception vis-à-vis de sa démarche, il ne ne nous reste plus qu’à lui souhaiter, justement, une bonne reprise du boulot.

Journaliste sneakers, mode, lifestyle. Auteur du livre "Sneakers Obsession".