Du vieux avec du neuf - Zoom sur la grande tendance de l’esthétique vieillie

Le sneakerhead tient à ses baskets, et prend toujours grand soin de ne pas les détériorer. Mais cela ne veut plus dire qu'il voudrait impérativement une paire en apparence impeccable. Bien au contraire : ça ne vous aura pas échappé, l'esthétique vieillie est une grande tendance depuis quelques saisons dans le sneakers game. Voilà pourquoi et comment elle s'est insinuée dans le traditionnel immaculé de la nouveauté. 

Entre le vieilli, le déconstruit ou le DIY : le aged look, de multiples possibilités

Mais d'abord, qu'est-ce que la sneaker aged look ? Basiquement, c’est une basket neuve dont l'aspect donne volontairement l'impression d’une - riche - vie antérieure. Un vieillissement artificiel, donc. Derrière cette définition cela dit, il y a de multiples itérations révélant autant de méthodes, pour ne pas dire catégories. Dans le aged look on peut clairement distinguer ce qu’on appellera un « vieilli classique », du déconstruit et du DIY.

Au sujet du basique, il se caractérise simplement par les couleurs délavées de ses éléments ou des matières suggérant l'usage préalable, comme le cuir craquelé ou le hairy suede. Parfois il y a tout cela à la fois, parfois un seul ingrédient comme la semelle jaunie. Pour le déconstruit le design est plus tranché, avec des finitions aux bords effilochés par exemple, tandis que le DIY distille des impressions de rapiècements, avec surpiqûres, broderies, patchworks. Vous l’aurez compris, en sneaker aged look, l’éventail est aussi large que l'inspiration infinie.

De The Ten au Protection Pack, une esthétique devenue incontournable

Alors quand cette esthétique particulière s'est-elle immiscée dans le game ? Difficile à dire, mais à en juger par le succès dans les années 2000 d'une marque comme Golden Goose, dont l'offre était justement composée de sneakers volontairement vieillies, le phénomène n'est pas nouveau. Du côté des équipementiers sportifs, on peut néanmoins situer 2017 comme le début de la tendance en cours. 2017, ou la sortie du pack The Ten de Nike et Virgil Abloh, divisé en deux parties dont une "Revealing" aux éléments « coupés à la main, open-source et reconstruits ». Le succès est énorme. 

L'année suivante, Jordan entretient la démarche par le biais de nouvelles collabs estimées avec Union et Nigel Sylvester, respectivement éloge du vintage et imitation de l'usure de multiples rides en BMX. Et puis, le concept a été poussé plus loin. Historiquement lié à la déconstruction, COMME des GARÇONS a transposé son savoir-faire sur la Shox et surtout la Air Max 95, revisitant ses waves centrales avec mousse et textile effiloché. Une touche unique dont s'est inspiré plus tard un New Balance pour son Protection Pack, depuis considéré comme le parangon du aged look dans son versant déconstruit avec ses empiècements irréguliers. 

Le vieilli, tendance écho de tendances

Aujourd’hui, l'esthétique vieillie est partout. Elle est surtout drivée par ces versions aux couleurs évoquant le temps passé, notamment les teintes naturelles imitant l'évolution du blanc d'origine. Ainsi New Balance ne lésine pas sur les itérations crème et beige, tandis que Nike peut rééditer ses Dunk avec pour seule nouveauté une semelle intermédiaire jaunie. Jordan a de son côté ravivé deux colorways OG, la Air Jordan 1 High Chicago et Air Jordan 3 White Cement, sous une appellation « Reimagined » caractérisée par un look vintage déployé jusqu'au packaging. Les collabs avec le luxe empruntent le même chemin, à l'image de Miu Miu et de ses NB 574 aux découpes brutes, ou de Balenciaga qui a pu vendre une adidas Stan Smith décolorée et... ratatinée. 

Si les marques sportswear nous en délivrent autant, c'est que la demande est énorme. On la mesure au-delà même de cette proposition pléthorique, jusque sur le custom. Ses pratiquants entreprennent souvent de reproduire le aged look, vieillissant les semelles avec du café et altérant le cuir lisse. Des customizers spécialisés dans cette tâche font fureur, Phillip Leyesa alias @philllllty en tête, et leurs carnets de commandes ne désemplissent pas. Quant à savoir pourquoi cette esthétique rencontre autant de succès, c'est d'abord parce qu'elle illustre la nostalgie, de tout temps prégnante dans la culture sneakers. En outre, elle fait écho à la tendance plus globale du vintage à l'heure où la seconde main a le vent en poupe, au DIY dont tous les médias font l'éloge, à tous ces concepts en vogue célébrant l'imperfection, comme les techniques et philosophies japonaises de wabi-sabi, kintsugi et sashiko... Le vieilli est dans l'air du temps, tout simplement. Et il n'est pas près de quitter nos baskets.

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Alexandre Pauwels

Journaliste sneakers, mode, lifestyle. Auteur du livre "Sneakers Obsession".