Quel coup de tonnerre ! Louis Vuitton a enflammé la planète mode ces dernières heures en intronisant Pharrell Williams comme nouveau directeur de la création de ses collections Homme. La nomination était attendue de longue date, le poste étant vacant depuis le tragique et brutal décès de Virgil Abloh en novembre 2021, mais jamais les rumeurs n'avaient laissé envisager le musicien de 49 ans dans ce rôle. Elles évoquaient plutôt des designers high fashion établis comme Telfar Clemens, Grace Wales Bonner, Martine Rose voire Colm Dillane après qu'il a co-signé la dernière collection de la maison française. Mais celle-ci a donc surpris son monde en nommant Pharrell. Un choix qui divise grandement l’opinion.
Ils sont évidemment nombreux à applaudir la décision de LV. Celle de la continuité. Naviguant entre musique, art et mode ainsi que le souligne très bien la maison dans son communiqué, Pharrell se place dans la lignée de Virgil Abloh, dont il devrait perpétuer l'œuvre fusionnant luxe et streetwear. Un choix que l'auteur de The Ten n'aurait pas renié, lui qui citait régulièrement son futur successeur parmi ses inspirations pour son caractère visionnaire. À raison : s'il y a eu un Virgil, c'est en partie parce qu'il y eut un Pharrell avant lui.

On ne peut nier l'impact qu'un Pharrell a pu avoir dans le tissage du lien entre street culture et luxe. Le leader des Neptunes et N.E.R.D fut la première sommité du rap à collaborer avec une maison, et en l'occurence ce même Louis Vuitton en 2004 pour une collection de lunettes "Millionaire" dont le design a marqué son temps et, prouesse, intégré l'offre permanente du malletier. De quoi paver la voie à un certain Kanye West et, à sa suite, Virgil Abloh. Pharrell a depuis croisé d'autres acteurs du luxe, de Moncler à CdG en passant évidemment par Chanel, pour élaborer un large éventail de produits. Il a en outre cultivé très tôt sa fibre mode en lançant avec son acolyte Nigo les labels streetwear Billionaire Boys Club et Ice Cream en 2005, et entretient une collab jalonnée de succès avec adidas depuis 2014. Mais tout cela n'est pas suffisant pour faire l'unanimité.

Les réactions négatives à la nomination de Pharrell sont aussi nombreuses que les applaudissements. L'une d'elles, émanant d'@antwerpmemedepartment, page humoristique tenue par des travailleurs de l'industrie de la mode, a retenu notre attention en cela qu'elle cristallise les critiques. "On ne peut pas laisser les jobs de design aux designers ? Rien contre Pharrell, il est très bon dans ce qu'il fait. Mais a-t-on seulement besoin de personnes célèbres pour diriger des maisons afin qu'elles puissent vendre leurs t-shirts à logo ?", questionne-t-elle. Beaucoup regrettent ainsi que le poste n'ait pas été confié à un designer rompu au prêt-à-porter de luxe. De ceux qui faisaient jusqu'alors l'objet des rumeurs, ou de la trempe d’un Sabato de Sarno, personnalité inconnue mais expérimentée récemment nommée en succession d’Alessandro Michele chez Gucci, figure de proue du groupe rival Kering auquel on a directement songé pour le saisissant contraste stratégique.

C'est un fait, Pharrell n’est pas un designer de métier. Il a bien drivé des marques, mais à cela, les réprobateurs répondent qu'entre un streetwear graphique orienté sur les basiques et la direction artistique de l'une des maisons les plus emblématiques, il y a un monde. Certains, caustiques, avancent que ce sont les petites mains cachées derrière Williams qui assureront le job pendant que lui pavoisera en ambassadeur. Car c’est tout aussi indéniable, le choix d'un Pharrell relève, plus que de la pure création, d’une dimension image et marketing. Sa première collection pour Louis Vuitton, qui sera présentée à la prochaine Fashion Week parisienne en juin, montrera s’il dissipe les reproches. Et les doutes, aussi. Entre les enthousiastes et les critiques, se dressent en effet les simples sceptiques, qui pointent Pharrell l'icône de style qu'ils voient dépassé depuis longtemps, ou Pharrell le collaborateur dont la hype et le succès l'auraient depuis longtemps quitté. Pour toutes ces raisons et plus encore, on a hâte de voir de quel bois sera fait Pharrell, le directeur artistique.

Journaliste sneakers, mode, lifestyle. Auteur du livre "Sneakers Obsession".