Voilà un moment que le sneakers game tourne en rond, sentiment exacerbé en ce qui concerne son grand leader Nike. C'est ce qu'on pense, mais voilà qu'un analyste renommé dans l'industrie, Chris Burns, le pointe aussi dans un rapport accablant. Tandis que la marque de Beaverton enchaîne les sorties à un rythme effréné, les consommateurs ne suivent plus, lassés qu’ils sont de la difficulté à acquérir les paires limitées quand l’essentiel des drops, des réinterprétations de silhouettes rétro, ne suscitent plus guère d’enthousiasme. Des données qui se mesurent au resell, où les cotes chutent inexorablement. Le contexte économique n’aidant pas, avec une inflation limitant le pouvoir d’achat, le Swoosh se retrouve même avec des invendus sur les bras. Évidemment, ça ne l’enchante pas.

Alors Nike revoit ses plans. Le hasard fait bien les choses, il a annoncé dans le même temps que le rapport Burns une série de mouvements dans son board. "Ces changements nous permettront de rationaliser notre concentration sur les produits, la narration de la marque et sa marketplace, en exploitant des informations approfondies sur les consommateurs pour offrir une innovation et un engagement révolutionnaires, tout en créant une croissance et une rentabilité à long terme", a déclaré le PDG John Donahoe dans le court communiqué de presse diffusé par la marque. Lequel contient le terme "innovation" pas moins de quatre fois.

"Développer la prochaine innovation majeure", tel est le programme clairement affiché. C’est un tournant, et un tournant sous forme de retour en arrière. En effet, dès leurs débuts et pendant très longtemps, tous les équipementiers étaient entièrement tournés vers l’innovation et la nouveauté. Ainsi misaient-ils tous sur le renouvellement continuel de leurs catalogues : un modèle sortait, faisait son temps en rayon et laissait sa place à un autre inédit. C’est seulement dans les années 1990 que cette stratégie commune a été rompue. À l’initiative de Nike, justement. En se rendant compte de l’affect du public pour certaines de ses silhouettes rétro, à l'image de la Air Force 1 avec laquelle il avait expérimenté avec succès le réassort via des éditions limitées pour trois shops de Baltimore - les "Three Amigos" -, la marque de Beaverton a multiplié les rééditions d'OG à compter de 1994, date du come-back de sa Air Jordan 1.

Sous le nouveau millénaire, synonyme d’avènement du segment lifestyle et de hausse du nombre de collectionneurs avec Internet et les réseaux sociaux comme rampes de lancement, les modèles rétro sont devenus le cœur du marché, entraînant une infinité de déclinaisons. Jusqu’à l’overdose. La lassitude récente des consommateurs devant l’affluence de sorties force un changement de paradigme, que Nike vient donc d’amorcer. Il va sans dire que nos paires favorites ne vont pas disparaître de son catalogue comme jadis, et qu’on aura toujours droit à des versions de Jordan ou Air Max. Mais celles-ci seront sûrement plus limitées en nombre, et l’accent mis sur les nouveautés. Il y a du boulot, au vu de l'insuffisance et de la médiocrité des inédits qu’il lance depuis plusieurs saisons, ce que le rapport de Chris Burns expose sans concession, mais le Swoosh est décidé. Et en changeant son fusil d’épaule, le géant du sportswear risque fort d’influencer ses pairs du sneakers game, également impactés par les mêmes problématiques. Affaire à suivre, mais on pourrait donc bien assister à une mutation du marché à court terme...

Journaliste sneakers, mode, lifestyle. Auteur du livre "Sneakers Obsession".