Hype. Un terme désormais très largement usité, un dénominateur commun aux marques de multiples secteurs. Traduction de "battage médiatique", il désigne une entité en vogue, "branchée", et peut s'appliquer sans guère de cadre à un produit, une marque ou une personnalité. Il exprime aussi le processus stratégique conduisant à cette première définition, qui part d'un buzz pour déclencher un fort engouement et, à son terme, une grande consommation. Le concept s'applique de longue date au sneakers game. Mais quand et comment est-il apparu, et comment s'est-il immiscé dans le marché jusqu'à en devenir l'un des moteurs ?

L'arrivée de la hype, une affaire de contextes plus que de marketing
Si on considère sa première définition, dans le sens de produit prisé, on note que la hype autour des sneakers remonte aux années 1980, date des premières frénésies d'achat liées aux Jordan. Dans la seconde, où elle s'apparente à une stratégie, elle émerge avec la multiplication des éditions limitées au début des années 2000. Ainsi convient-il de préciser que la hype n'est pas venue de la brillante idée d'un marketeur aux dents longues, mais qu'elle a au contraire germé naturellement au gré de différents contextes favorables.

De fait, malgré les premiers engouements pour la sneaker dans les eighties, les marques restent concentrées sur le sport ainsi que leur stratégie d'alors de renouvellement continuel des catalogues. Ce n'est que lors de la décennie suivante qu'elles actionnent des gammes lifestyle, sous le poids d'une consommation urbaine élargie découlant d'une évolution des mœurs vers plus de décontraction, à l'image de l'apparition du Friday Wear. Les équipementiers lancent alors les rééditions de produits historiquement appréciés - la Air Jordan 1 revient par exemple en 1994 -, les éditions spéciales, exclusivités régionales ou collaborations à tirage limité. Ces directions stratégiques, prises pour séduire la nouvelle clientèle urbaine, gagnent en résonance au début des années 2000 avec la généralisation d'Internet. Le réseau informatique mondial permet à la passion pour les sneakers de se développer, se structurant grâce aux blogs et forums. C'est là, entre les éditions limitées et le digital, que la hype a fait irruption dans la culture sneakers. Elle sera propulsée par des épisodes bien précis.

La percée de la hype entre collabs et réseaux sociaux
Tous les spécialistes s'entendent pour situer le point de départ de la hype autour des sneakers en février 2005. Soit le jour de la sortie de la petite dernière du City Pack élaboré par Nike SB, la Dunk Low Pigeon. Cette sneaker imaginée en collaboration avec Jeff Staple déclenche une ferveur particulière dans le point de vente du designer, où se trouvent 30 paires numérotées. Une centaine de personnes sont présentes pour le drop, des heurts éclatent et la police finit par intervenir sur les lieux. Le lendemain, le New York Post consacre sa Une à l'événement sous le titre de "Frénésie Sneaker". Les conséquences se font directement ressentir : le grand public prend connaissance de la culture sneakers, le nombre de passionnés décolle, de même que le resell et les camp out. Les marques en prennent bonne note et sur le marché, les collabs se multiplient dans le but de recréer ce que cette sortie a pu susciter.
Pour autant, la hype autour de la Pigeon ne concerne que les initiés, et il manque encore au process ce qu'on voit aujourd'hui comme sa plus grande caractéristique, son premier levier : les réseaux sociaux. Ainsi la hype "grand public" arrivera plus tard, avec un certain Kanye West. En collaborant avec Nike de 2009 à 2013, dans un contexte d'avènement du web 2.0, le rappeur change la face du game : il use des réseaux pour promouvoir ses produits, l'engouement est inédit. Les camp out et le resell prennent une tournure dantesque, encourageant Nike puis l'ensemble des acteurs à instituer des raffles en ligne. Tous les ingrédients de la hype sont dès lors recensés. Les réseaux sociaux servent à l'invoquer en marge des releases, les tirages au sort l'entretiennent avec un franc déséquilibre entre offre et demande, quand le resell la matérialise en aval des drops par le biais des cotes. La machine est en route.

Un concept sans cesse reproduit... désormais à bout de souffle ?
Le succès de Kanye West se prolonge à son passage chez adidas, avant que l'un de ses protégés ne s'empare de son trône. Avec sa collection "The Ten" pour Nike en 2017, Virgil Abloh repousse les limites de la hype, qui devient le moteur de toutes les marques du sneakers game. Jusqu'alors le terreau n'était pas encore pleinement fertile, mais à compter de cette cuvée 2017, également marquée par le coup de tonnerre Supreme x Louis Vuitton, la street culture est définitivement adoubée. Pendant que la demande pour les sneakers ne cesse de s'accroître, le cocktail réseaux sociaux, tirages limités et raffles devient la stratégie phare sans cesse reproduite. Peut-être trop.

Cinq ans plus tard, alors que Travis Scott est la nouvelle poule aux œufs d'or et la basket toujours plus tendance, la hype sneakers, curieusement, s'essouffle. Le nombre de sorties d'éditions limitées a considérablement augmenté - au point que le terme de limité pose question -, plusieurs collabs sortent quotidiennement et face au nombre croissant de releases, les prix au resell, unité de mesure ultime de la hype, chutent inexorablement. Là où l'évocation du "battage médiatique" induisait toujours de fortes cotes il y a encore quelques années, ce n'est plus le cas, y compris pour les collaborations les plus attendues. Si les équipementiers s'échinent à reproduire le même schéma pour déchaîner les passions, certains observateurs avancent donc que la hype disparaîtra bientôt tout bonnement, donnant lieu à un marché où chacun pourra acquérir la paire de son choix... Wait and see, une révolution est peut-être à l'œuvre !

Journaliste sneakers, mode, lifestyle. Auteur du livre "Sneakers Obsession".