COMME des GARÇONS est une marque high fashion créée en 1969 par Rei Kawakubo. Si on a tendance à la résumer à ce petit cœur rouge aux grands yeux, c'est ô combien réducteur. Il ne s’agit là que de la signature de sa gamme Play, la plus accessible et grand public d’une entité bien plus qualitative, conceptuelle et complexe. Qui a tout simplement marqué l’histoire de la mode, avant de bâtir un empire et d’accroître son influence… jusqu’aux sneakers !

COMME des GARÇONS, l’histoire d’une révolution
De l’avis des spécialistes, COMME des GARÇONS est l’un des derniers grands chocs dans l’histoire de la mode. Une révolution qui remonte à 1981 : alors que sur les podiums de la Fashion Week parisienne défile le style flamboyant des Jean Paul Gaultier ou Montana au travers de shows spectaculaires, deux créateurs japonais fraîchement invités choquent les observateurs avec une mode aux antipodes. Des vêtements noirs, déstructurés, rapiécés même parfois, présentés dans une atmosphère austère. Yohji Yamamoto et Rei Kawakubo viennent de lancer l’antifashion, courant phare qui préfigure celui du minimalisme.

Rejetant l’impérialisme de la mode occidentale, et avec elle ses critères de beauté, d’élégance et de féminité qui faisaient office de référence jusque dans son pays, Kawakubo développe une approche intellectuelle tout en volumes et déconstruction. Ce qui traduit son engagement de marque, qui veut que les femmes modernes n’ont pas à se soumettre aux hommes et qu’elles peuvent s’affirmer… "comme des garçons". Si ses premières collections sont mal reçues par les critiques, la plus fameuse parlant d’un style "Hiroshima chic", CdG ne tarde pas à gagner en adeptes et finit par être considéré pour ce qu’il est, un avant-gardiste révolutionnaire.

De multiples gamme, un véritable empire
D’abord dédié aux femmes, CdG lance sa ligne Homme en 1978, point de départ d’une grande expansion. Car depuis, comme une illustration de l’univers faste imprimé par Kawakubo et de sa volonté de bien distinguer les visées de sa mode tantôt hautement conceptuelle tantôt accessible, la marque dispose d’un grand nombre de labels : Homme Plus, Homme Deux, Shirt, Comme des Garçons Comme des Garçons, Play, Black, Girl, CDG… Sans oublier les lignes "designer" portant les noms de certains des protégés de la créatrice auxquels elle a permis de développer leur vision, comme Junya Watanabe.

COMME des GARÇONS traduit aussi son succès en boutiques, et a lancé en 2004 un concept store parmi les plus pointus de la planète mode : Dover Street Market. En plus de commercialiser les différentes lignes de CdG, le détaillant présent dans 7 des plus grandes villes du monde expose des marques de luxe, streetwear - il est notamment le seul et unique distributeur de Supreme -, et de petits labels haut de gamme que Kawakubo apprécie et entend faire connaître. DSM est aujourd’hui l’un des symboles de l’empire qu’est devenu CdG, qui, fait assez rare dans l’industrie, est parvenu à demeurer une griffe de luxe indépendante après 54 années d’existence.

CdG, un impact prépondérant dans la sneaker
La galaxie COMME des GARÇONS ne se limite pas aux podiums, elle s’est aussi étendue aux sneakers : en avant-gardiste toujours capable de fleurer l’air du temps, Rei Kawakubo fut l’une des premières créatrices à collaborer avec les équipementiers, participant activement à créer et solidifier le lien high fashion x sportswear. CdG est ainsi la première maison de luxe à s’allier à Nike, collab débutée en 1999 via la filiale Junya Watanabe et qui se poursuit toujours à l’heure actuelle. En parallèle, elle a pu croiser d’autres acteurs phares du sneakers game comme Vans - notamment pour des trios mémorables avec Supreme ou Raf Simons -, New Balance, Asics, Reebok ou Salomon, sans oublier Converse pour ses Chuck aux cœurs rouges lancées en 2009 et sans cesse déclinées depuis.

Là encore et comme en matière de mode, la patte sneakers de CdG peut différer selon la gamme sous laquelle la griffe va collaborer. Elle est souvent minimale, tout du moins dans les coloris - noir, blanc et noir/blanc sont souvent les 3 versions qui composent ses packs -, parfois maximale dans l’approche créative, à l’image de sa Dunk High de 2008 transformée façon bottine, de sa Cortez à plateforme XXL en 2018, de sa Jordan 1 biker l’année suivante, ou plus récemment de sa Foamposite au moule unique. L’un dans l’autre, les signatures de CdG divisent les sneakerheads, échappant de fait à la hype pour s'éterniser en rayons - quand elles ne finissent pas carrément en soldes. Mais ça n’en réduit pas moins sa portée sur le marché.

En effet, CdG a toujours été et demeure un précurseur de tendances en design footwear. On pense notamment à la déconstruction dont il est historiquement dépositaire, qu’il a poussée coup sur coup avec des Shox (2019) et Air Max 95 (2020) aujourd’hui perçues comme les instigatrices d’un courant esthétique en plein boom symbolisé par le New Balance Protection Pack. En outre, la griffe initie souvent les releases - VaporMax - et come-backs de modèles. Ils peuvent être obscurs, à l’image des Carnivore et Sunder, mais sont parfois annonciateurs de grandes choses, comme les Dunk et Air Force 1 Mid qui ont inauguré des déferlements d’itérations. On décèle donc en CdG une rampe de lancement, rôle majeur que le Swoosh a pu lui octroyer du fait de son étiquette high fashion conceptuelle qui rend tout possible. "Jetons les idées qu’on connaît déjà depuis longtemps, et commençons quelque chose de nouveau", disait Rei Kawakubo dans l’une de ses rares interviews télévisées voilà 40 ans. Une pratique éternelle et sans limite, un mantra qu’elle s’applique aussi bien dans la couture de robes sculpturales que dans une sneaker Nike. Pour notre plus grand plaisir.

Journaliste sneakers, mode, lifestyle. Auteur du livre "Sneakers Obsession".