Il est le fondateur d’Aimé Leon Dore, et le directeur créatif de la gamme made in USA de New Balance. Mais qui est Teddy Santis ? Le designer n’est pas du genre loquace, et ne se met guère en avant. De ses rares interviews ou portraits qui lui ont été consacrés, nous sommes cependant en capacité de retracer son parcours. Qui à l’image de l’identité visuelle de sa marque, s’avère des plus inspirants !

Santis, l’œil du Queens
Si le destin de Santis force l’admiration, c’est qu’il n’a pas le moindre background en matière de mode. Fils d’immigrés grecs soucieux qu’il se rappelle toujours d’où il vient, il grandit à l’époque de la golden era du rap, dans son épicentre. Les années 1990, le Queens, l’un des cinq boroughs de New York. Le jeune Teddy écoute du Mobb Deep, joue au basketball, fait du breakdance et du graff, passions où le style est toujours prépondérant. Pas de quoi l’orienter dans cette direction pour autant : il aide au restaurant familial, et en 2010, monte avec un ami d’enfance une boutique d’optique à Manhattan. Là, ses clients travaillant dans la mode louent son œil affuté. Ce qui l’encourage à imaginer son futur projet.

Sa marque, Santis veut l’appeler "Aimé", participe passé du plus beau des verbes en français, mot qu’il apprécie. Il imagine un branding sur Illustrator, le sérigraphie sur un sweat et montre le tout à un certain Ronnie Fieg, ami proche et directeur de ce qui est alors une jeune boutique, KITH, lors d’un séjour en Grèce. Ce dernier le met au défi : "Il a dit 'je vais publier la photo sur Instagram, et si elle obtient plus de 500 likes, considère que c’est un succès'. Il l’a fait et tandis que nous marchions sur la plage, il me dit 'yo, c’est quelque chose. Les gens m’envoient des messages pour me demander ce que c’est'", raconte Teddy à The Spin Off. Voilà le néo-créateur convaincu. Le trademark "Aimé" lui étant refusé, il y ajoute les mots "Leon", surnom de son père, et "Dore", dernière syllabe de son prénom à l’état civil Theodore. Après deux ans d’incubation, Aimé Leon Dore voit officiellement le jour en 2014.

La success story d’Aimé Leon Dore
Santis lance Aimé Leon Dore avec le désir "de livrer un travail intemporel en fusionnant les influences de deux cultures", soit la méditerranéenne qu’il a héritée de ses parents et celle du hip-hop new-yorkais des nineties. Arrivé à une époque où le streetwear en plein boom se veut tapageur, avec brandings, logos et oversize à gogo, ALD, comme on a coutume de le surnommer aujourd’hui, se distingue avec un style chic et minimaliste. Les classiques du genre sont sublimés de matières premium et côtoient des pièces du vestiaire formel revisitées dans des coupes confortables, le tout dans une palette de tons neutres. Un look qui tranche avec la norme d’alors, mais qui séduit une certaine clientèle. Pour l’esthétique et la qualité, mais aussi pour ce qu’ALD entend raconter.

Car instantanément, ALD tire son épingle du jeu avec un univers de marque fort, porté par une direction artistique travaillée et un stylisme on point - révélant cet "œil Santis" qu’on avait pu lui louer. Un storytelling léché qui vient véhiculer des valeurs d’authenticité, si chères dans l’industrie de la mode. Dans ses premières années, la griffe pousse avant tout son identité hip-hop - allant jusqu’à simplement renseigner dans sa page "à propos" un lien vers l’album phare de Nas, Illmatic -, mais finira par épouser l’autre versant de la culture de Santis pour ajouter à son streetwear chic davantage d’imprimés et de couleurs. Le succès ne se dément pas, et attire l’attention d’autres entités.

Entre New Balance et appui de LVMH, Teddy Santis encore en pleine ascension
Aimé Leon Dore a très vite collaboré. Il y eut KITH dès 2015, puis successivement Puma, Woolrich, Suicoke, Timberland… et New Balance. ALD débute sa collab avec l’équipementier de Boston en 2019, participant activement, peut-être même plus encore que ses pairs - Joe Freshgoods, Salehe Bembury ou Casablanca -, à son irrésistible ascension sur le créneau de la sneaker limitée. D’abord avec un pack de 997, puis une ML850, des 990v2 et v5 accompagnées de textile, des 827... et finalement la 550 courant 2020, pic de l’engouement pour la collab et moment où Santis achève de convaincre son associé qu’il est l’homme de la situation. De fait, l’idée même de relancer cette obscure silhouette du catalogue basketball de NB, sortie en 1989 sans déclencher d'engouement et jamais rééditée depuis lors, est venue du designer en feuilletant un vieux magazine japonais. Quant à sa réalisation, elle tient aussi de lui, et de sa capacité à avoir déniché un collectionneur pour fournir un modèle original comme base de travail.

Fort de ce succès qui a aussi bien fait exploser sa marque que les ventes de son acolyte, Santis est nommé directeur créatif de la gamme Made in USA de New Balance en avril 2021. Fonction qu’il remplit avec brio, entre footwear aux déclinaisons épurées et apparel qualitatif, tout en continuant de driver un ALD plus séduisant que jamais. Avec des collections toujours aussi raffinées et des collabs bien senties incluant de nouveaux noms prestigieux comme Drake’s ou Porsche, la griffe a même fini par attirer l’attention de LVMH. En janvier 2022, le leader de l’industrie du luxe annonce ainsi une entrée dans son capital, avec l’achat de parts minoritaires. De quoi assurer le développement d’Aimé Leon Dore sur le long terme, et permettre à Santis de se consacrer pleinement à la création. D’un resto du Queens aux portes des plus grandes institutions de la mode, Teddy a donc fait du chemin. Gageons qu’il nous surprendra encore.

Journaliste sneakers, mode, lifestyle. Auteur du livre "Sneakers Obsession".