À la Fashion Week Automne/Hiver 2022-23, l’Homme à tout faire

Désir d’équilibre et de maîtrise, envie d’insouciance et de lâcher prise. La mode masculine Automne/Hiver 2022-23, présentée à Paris la semaine dernière à travers quelques 70 shows, a adopté plusieurs postures au moment de nous projeter au terme de la crise. Là où son équivalente milanaise a persévéré dans l’exploration des codes classiques, l’édition française a emprunté des voies et expressions multiples, comme autant de réflexions post-pandémie. De ce balancement ressort un ensemble de vestiaires particulièrement éclectique, oscillant entre tailoring structuré et pièces décomplexées.
Louis Vuitton et Kenzo symboles d’une diversité nouvelle
Le symbole de cette étonnante diversité est une collection qui entendait justement l’illustrer : celle de Louis Vuitton. Dans un show mémorable mené par un orchestre symphonique et des performances de danse, s’est dévoilée l’ultime garde-robe du regretté Virgil Abloh, rétrospective de ses années Vuitton où on a aussi bien retrouvé le streetwear des débuts, avec baggys, snapbacks et prints graffitis, que le tailoring qui lui avait succédé ces dernières saisons. Une harmonieuse dissonance, qui a trouvé un son de cloche chez un autre défilé parmi les plus attendus de cette Fashion Week.

Pour sa première en tant que directeur artistique chez Kenzo, l’apôtre du streetwear Nigo a ravivé le style enjoué emblématique de la Maison, célébration de l’universalisme avec des inspirations tirées des quatre coins du monde. Des costumes so british ont côtoyé des varsity jackets à l’esprit universitaire américain, le tweed des imprimés fleuris, les coupes ajustées des plus larges. Il y avait là à boire et à manger, et la crème du rap US et Kanye West étaient du buffet. Le menu est apparu plus lisible et raffiné chez Dior, sûrement le vestiaire le plus abouti de cette semaine masculine, avec ses tailleurs mixés à des jogpants et mules co-signées par Birkenstock. La splendeur du tailoring twisté, ou l’un des éléments de continuité vis-à-vis des dernières éditions.

Tailoring, sex and fun

 De tailoring, il en fut toujours question au cours de cette Fashion Week. Revisiter le vestiaire formel reste d’actualité, et le costume une matière première. On l’a bombé d’épaulettes chez Louis Vuitton ou Hed Mayner, agrémenté de poches poitrine ou passepoilées chez Egonlab et Lemaire, greffé de revers contrastants comme Jil Sander ou d’un plaid pour Sean Suen. Un ensemble de twists qui interroge sa signification et ce qu’il sous-entend des codes masculins. Quitte à les briser : chez Egonlab encore, le power suit structuré se porte avec des jupes, tandis qu’on retient de LV des robes de mariés et de Dior le mythique tailleur bar revisité pour Monsieur. Du côté de Maison Mihara Yasuhiro, un homme portant mini-jupe et talons voit une femme au costume trop grand lui emboîter le pas. Les frontières sont plus que jamais brouillées.

Comme le tailoring, le genderless demeure une tendance forte. Les deux thématiques se nourrissent, mais la première sait aussi s’effacer. Ainsi s’est jouée en parallèle de la revisite du vestiaire classique une autre mode plus franche. Elle a usé des prints floraux et animaliers, de motifs géométriques mais aussi de textures plus rares dans la garde-robe masculine, comme le sequin et le latex. Sur ces pièces aux influences très sixties/seventies, la palette est plus vitaminée que celle du style sartorial, effeuillage du traditionnel nuancier hivernal. Le résultat de réflexions découlant de la pandémie, puisqu’il fut question de fête chez des Études, Dries van Noten et Courrèges ou de voyage pour Juun.J ou Casablanca, autant de Maisons qu’on a pu retrouver sur le support privilégié de l’audace. 

La cagoule plutôt que les trainers

Exit les sneakers, minoritaires face aux déclinaisons de la chaussure en cuir - quand bien même il faille noter la révélation de sacai x Nike Cortez -, l’accessoire de la saison se trouve à l’autre extrémité du corps. Il s’agit de la cagoule. Comme un prolongement du masque qui nous est imposé, on nous invite à la choisir de notre plein gré - c’est définitivement OK. Et quitte à nous encagouler, pourquoi nos manteaux ne s'acquitteraient pas directement de cette fonction, nous questionnent de nombreuses Maisons. Les tissus se prolongent en écharpes chez Y/Project, couvrent le cou comme le col d'un manteau Dior. Dentelle pour Jil Sander, fourrure XXL chez Hermès, nœud victorien pour Yohji Yamamoto... et plus haut encore, une somme d’extravagances.

 

Les couvre-chefs LV ont marqué les esprits par leurs pointes audacieuses, mais peut-être pas autant que ceux de Rick Owens : inspirés de l'Égypte ancienne, ils sont surmontés d'ampoules Philips. Bonnet aviateur en cuir matelassé - matière très en vogue cette saison - chez Juun.J, béret traditionnel pour Dior ou Black Panther chez Rhude, capuches superposées Kolor, bonnet péruvien BLUEMARBLE et grands chapeaux Casablanca… L’audace s’est définitivement nichée à hauteur de tête. De quoi nous faire dire que le désir d’être vu est une autre constante de cette mode Homme Automne/Hiver 2022-2023. Pour le reste, passé l’enthousiasme de la diversité, reste la question de savoir si l’édition s’inscrit comme une parenthèse enjouée de l’ère du tailoring twisté, ou si elle en introduit une nouvelle, plus exubérante. Nous voilà déjà impatients d’être à juin prochain pour en savoir plus !

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Thomas Goffaux